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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/65

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à des abus trop flagrants, il fait généralement preuve d’une certaine modération. Il est surveillé de près par le chef, les notables et les autres sorciers, et il arrive souvent à un sorcier d’être supplanté par un autre, dans l’intérêt du chef ou sur son ordre.

Les hommes au pouvoir, chefs, hommes de haut rang ou riches, sont ceux qui ont le plus recours à ses services professionnels et rétribués. Lorsqu’il est appelé par des gens du menu peuple, le sorcier se garde bien de formuler des exigences injustes ou fantastiques. Trop riche et occupant une situation trop importante pour faire des choses illégales, il peut se permettre d’être honnête et juste. Lorsqu’une injustice réelle a été commise ou lorsqu’il s’agit de punir un acte illégal, le sorcier, sous la pression de l’opinion publique, est toujours prêt à combattre pour la bonne cause et à recevoir, en échange, sa pleine récompense. En apprenant qu’un sorcier travaille contre lui, l’homme visé recule souvent ou fait amende honorable ou se montre disposé à accepter un arrangement équitable. C’est ainsi que, généralement, la magie noire agit comme une force légale authentique, en contribuant au triomphe des prescriptions de la loi tribale, en empêchant le recours à la violence et en rétablissant l’équilibre.

La coutume qui consiste à rechercher les raisons pour lesquelles quelqu’un a été tué par la sorcellerie, illustre bien l’aspect légal de celle-ci. Il s’agit de trouver une interprétation aussi exacte que possible de certaines marques ou de certains symptômes que peut présenter le cadavre exhumé. Douze ou vingt-quatre heures après les funérailles préliminaires, au premier coucher du soleil qui les suit, on exhume le cadavre, on le lave, on l’enduit d’huile et on l’examine. Cette coutume a été interdite par les autorités, car l’homme blanc, qui n’a d’ailleurs nulle raison et nul besoin de s’en mêler, la trouve « dégoûtante », mais elle est toujours superstitieusement pratiquée dans les villages un peu reculés. J’ai assisté à plusieurs exhumations de ce genre et j’ai pu photographier l’une d’elles, parce qu’elle fut pratiquée avant le coucher du soleil. C’est une opération très dramatique. Une foule se presse autour de la tombe ; quelques-uns de l’assistance enlèvent rapidement la terre en poussant des cris plaintifs, d’autres entonnent des incantations contre les mulukwausi (sorcières volantes, qui dévorent des cadavres et tuent des hommes) et mâchent du gin-