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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/66

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gembre qu’ils crachent sur les personnes présentes. À mesure qu’on se rapproche des nattes entourant le cadavre, les plaintes et les chants deviennent plus forts, et le cadavre est enfin mis au jour au milieu d’une explosion de cris. La foule se précipite vers la tombe pour le voir de près, ceux qui sont tout en avant reçoivent des plats en bois contenant de la crème de noix de coco avec laquelle ils doivent laver le cadavre ; celui-ci est dépouillé de ses ornements, lavé rapidement, enveloppé de nouveau et enterré. Pendant que dure ce processus, on s’attache à enregistrer les marques. Ces marques n’ont rien d’absolument convaincant et des différences d’opinion se font souvent jour quant à leur nature ; dans certains cas, leur existence peut être mise en doute.

Mais il est des marques au sujet desquelles aucun doute n’est possible et qui révèlent d’une façon non équivoque une habitude, un penchant ou une caractéristique du défunt, cause de l’hostilité qu’il s’était attirée de la part de quelqu’un qui avait chargé un sorcier de le tuer. Si le cadavre porte des égratignures, surtout sur les épaules, semblables aux kimali ou griffures érotiques, infligées en guise de caresses sexuelles, cela signifie que le défunt s’était rendu coupable d’adultère ou a eu trop de succès auprès des femmes, au grand ennui d’un chef ou d’un homme autrement puissant, ou, enfin, d’un sorcier. Cette cause fréquente de la mort laisse encore d’autres symptômes : le cadavre exhumé se présente les jambes écartées ou la bouche plissée comme pour émettre le son perçant par lequel on appelle une personne désirée à un rendez-vous secret. Ou encore on trouve le cadavre envahi de poux, et l’on sait que l’épouillage réciproque constitue une des manifestations de tendresse favorites de deux amoureux. Parfois, certains symptômes apparaissent avant la mort : tel jour, on a vu l’homme mourant remuer le bras comme s’il avait fait des signes d’appel, et voici qu’à l’exhumation on trouve justement sur les épaules des marques kimali. Dans un autre cas encore on a entendu le mourant émettre un son perçant, et à l’exhumation on l’a trouvé envahi de poux. Il était de notoriété publique que, de son vivant, cet homme se faisait épouiller par plusieurs des femmes de Numakala, un des anciens principaux chefs de Kiriwina : il est donc évident qu’il a été puni d’ordre supérieur.