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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/73

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Il importe de dégager deux mobiles dans la psychologie du suicide : d’une part, il s’agit toujours d’expier un péché, un crime ou l’explosion d’une passion, que ce soit une violation de la loi exogamique, ou un adultère, ou une injure injustement infligée, ou une tentative d’échapper à des obligations ; d’autre part, il s’agit d’une protestation contre ceux qui ont dévoilé cette transgression, insulté le coupable en public et l’ont acculé à une situation intolérable. Dans certains cas, l’un de ces mobiles peut agir avec plus de force que l’autre, mais d’une façon générale, ils sont associés dans des proportions égales. La personne publiquement accusée accepte la responsabilité de sa faute, avec toutes ses conséquences, s’inflige elle-même le châtiment qu’elle comporte, tout en déclarant qu’elle a été maltraitée et en faisant appel à ceux qui l’ont poussée à la décision suprême, lorsque ce sont ses parents ou amis ; lorsque au contraire ce sont des ennemis, elle fait appel au sentiment de solidarité des parents, leur demandant d’exercer la vendetta (lugwa).

Certes, le suicide n’est pas un moyen d’administration de la justice, mais il offre à celui qui est accusé et persécuté, qu’il soit coupable ou innocent, une issue et un moyen de réhabilitation. L’idée du suicide joue un grand rôle dans la psychologie des indigènes, les incite à s’abstenir de violences de langage et de conduite, de toute déviation de la coutume et de la tradition qui serait susceptible de heurter ou de blesser les sentiments d’autrui. Le suicide, comme la sorcellerie, contribue à maintenir les indigènes dans la stricte observance de la loi, à les détourner de modes de conduite extrêmes et inusités. L’un et l’autre agissent dans le sens de la conservation et fournissent un fort appui à la loi et à l’ordre.

Quelles conclusions tirerons-nous des faits relatifs au crime et au châtiment que nous avons cités dans ce chapitre et dans le précédent ? Nous avons vu que les principes d’après lesquels les crimes sont punis sont très vagues, que les méthodes rétributives sont inconstantes, gouvernées par le hasard et par la passion personnelle, plutôt que par un système d’institutions fixes et stables. En fait, les méthodes les plus importantes sont un produit secondaire d’institutions, de coutumes, de dispositions n’ayant aucun caractère légal : sorcellerie et suicide, pouvoir du chef,