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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/75

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ou moins indépendants les uns des autres, plus ou moins adaptés les uns aux autres. Chacun de ces systèmes, droit maternel, droit paternel, législation matrimoniale, prérogatives et devoirs d’un chef, etc., s’applique à un domaine bien circonscrit, mais dont il peut parfois dépasser les limites légitimes. Il en résulte une certaine rupture d’équilibre qui, dans les cas graves, peut aboutir à une véritable explosion. L’étude du mécanisme des conflits, ouverts ou masqués, entre divers principes juridiques est très instructive et propre à nous révéler la véritable nature de l’édifice social d’une tribu. Je commencerai par la description de quelques éventualités pouvant se produire, pour procéder ensuite à leur analyse.

Je décrirai d’abord un événement faisant ressortir le conflit entre le droit maternel, qui est le principe fondamental de la législation, et l’un des sentiments les plus forts, l’amour paternel, autour duquel gravitent beaucoup d’usages, tolérés par la coutume, mais allant en réalité à l’encontre de la loi.

Le droit maternel et l’amour paternel trouvent leur expression la plus nette dans les rapports existant entre un homme et le fils de sa sœur, ainsi que dans ses rapports avec son propre fils. Son neveu de lignée maternelle est son parent le plus proche et l’héritier légal de toutes ses dignités et charges. Son propre fils, au contraire, n’est pas considéré comme son parent ; il n’existe pas de rapports légaux entre le père et le fils, et le seul lien qui les rattache l’un à l’autre est un lien sociologique résultant du mariage avec la mère du fils[1].

Cependant dans la réalité de la vie quotidienne le père se montre beaucoup plus attaché à son propre fils qu’à son neveu. De père à fils on constate toujours des rapports d’amitié et d’affection personnelle ; d’oncle à neveu, au contraire, l’idéal de la parfaite solidarité se trouve obscurci par les rivalités et l’attitude soupçonneuse, toujours inhérentes à des rapports dominés par des questions de succession.

C’est ainsi que dans le puissant système du droit maternel le sentiment n’intervient que pour une très faible part, tandis que l’amour paternel, dont le rôle est très insignifiant, s’appuie sur

  1. Cf. The Father in Primitive Psychology (1926), paru d’abord dans « Psyche », vol. IV, no 2.