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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/76

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un fort sentiment personnel. Lorsqu’il s’agit d’un chef qui dispose d’un pouvoir considérable, l’influence personnelle réussit à contre-balancer les stipulations de la loi, ce qui a pour effet de rendre la position du fils aussi forte que celle du neveu.

Tel fut le cas qui se produisit dans le village d’Omarakana, résidence du principal chef, dont le pouvoir s’étend sur tout le district, dont l’influence se fait sentir dans plusieurs archipels et dont la renommée est connue sur toute la côte Est de la Nouvelle-Guinée. Je n’ai pas tardé à m’assurer de l’existence d’un conflit permanent entre ses fils et ses neveux, conflits qui revêtaient une forme vraiment aiguë dans les querelles incessantes mettant aux prises son fils Namwana Guya’u et son neveu Mitakata, second par ordre d’âge.

L’explosion finale eut lieu, lorsque le fils du chef infligea une sérieuse injure au neveu, au cours d’un procès devant le fonctionnaire résidant du gouvernement du district, procès qui valut au neveu Mitakata une condamnation à un mois de prison.

Lorsque la nouvelle de cette condamnation parvint au village, les partisans de Namwana Guya’u exultèrent, mais leur joie fit bientôt place à un sentiment de panique, tout le monde s’étant rendu compte que les choses touchaient au point critique. Le chef s’enferma dans sa hutte personnelle, plein de sinistres pressentiments au sujet du sort qui attendait son favori auquel on reprochait d’avoir agi brutalement, d’avoir violé la loi tribale et outragé le sentiment tribal. Les parents du jeune prisonnier, qui était le successeur éventuel du chef, bouillaient de colère et d’indignation refoulées. La nuit venue, les gens du village accablés se retirèrent pour le souper, chaque famille dans sa hutte. Il n’y avait personne sur la place centrale. Namwana Guya’u n’était pas visible, le chef To’uluwa était enfermé dans sa hutte, la plupart de ses femmes et leurs familles évitaient également de se montrer. Tout à coup une voix formidable troubla le silence du village. Ce fut celle de Bagido’u, l’héritier présomptif, qui, se tenant devant sa hutte, lança aux offenseurs de sa famille les paroles suivantes :

« Namwana Guya’u, c’est toi la cause des troubles. Nous, les Tabalou d’Omarakana, nous t’avons autorisé à rester ici, à vivre parmi nous. Tu avais abondamment de nourriture à Omara-