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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/84

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demeurant ce qu’avait été l’homme ; il avait même existé avant la naissance de l’homme, comme « esprit-enfant », et faisait déjà partie d’un clan et d’un sous-clan. Faire partie d’un clan signifie avoir un ancêtre commun avec les autres membres de ce clan ; donc : unité au point de vue de la parenté, de la citoyenneté dans une communauté locale, des droits à la possession du sol et à la coopération dans un grand nombre d’activités économiques et dans toutes les cérémonies. Légalement, cela implique une communauté de nom, lequel est celui du clan et du sous-clan, des responsabilités communes dans les vendettas (lugwa), l’obligation de l’exogamie et, enfin, la fiction d’un grand intérêt pour le bien-être d’autrui, au point qu’à la mort d’un individu son sous-clan et, dans une certaine mesure, son clan, sont considérés comme frappés de deuil, et tout le rituel funèbre est organisé conformément à cette conception traditionnelle. Mais l’unité du clan et, dans une mesure plus grande encore, celle du sous-clan s’expriment de la façon la plus tangible dans les grandes distributions (sagali) qui accompagnent les fêtes et dans lesquelles les groupes totémiques se livrent au jeu du donnant-donnant cérémoniel et économique. Il existe donc un grand nombre d’intérêts et d’activités réels et, nécessairement aussi, de sentiments à la faveur desquels se trouve réalisée l’unité d’un sous-clan et l’association de plusieurs sous-clans en clan, fait qui ressort avec une grande évidence de nombreuses institutions, et trouve son expression aussi bien dans la mythologie et dans le vocabulaire que dans les locutions courantes et les maximes traditionnelles.

Mais il y a aussi le revers de la médaille, dont nous avons déjà eu certains témoignages assez clairs et auquel il convient de consacrer quelques mots de plus. En premier lieu, bien que toutes les idées relatives à la parenté, à la division totémique, à l’unité de substance, aux devoirs sociaux, etc., tendent à faire valoir le « dogme du clan », tous les sentiments sont loin d’être en conformité avec ce dogme. Alors que dans toute contestation d’ordre social, politique et cérémoniel l’homme, poussé par l’ambition, l’orgueil et le patriotisme, est toujours porté à se ranger du côté de ses parents maternels, il arrive couramment que des sentiments plus tendres, une amitié amoureuse, un attachement affectif lui fassent préférer au clan sa femme, ses enfants, ses amis, du