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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/85

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moins dans les situations normales de la vie. Au point de vue linguistique, le terme veyogu (mon parent) a un ton affectif froid, et implique la reconnaissance d’un devoir ou l’expression d’un orgueil, tandis que le ton affectif du terme lubaygu (mon ami et ma bien-aimée) est beaucoup plus chaud, implique une intimité plus grande. D’après leurs croyances (plus personnelles qu’orthodoxes) relatives à la vie d’outre-tombe, les liens d’amour, l’affection conjugale et l’amitié subsistent dans le monde des esprits, au même titre que l’identité totémique.

En ce qui concerne les devoirs définis envers le clan, nous avons déjà montré, sur l’exemple de l’exogamie, leur élasticité et toutes les possibilités et facilités d’évasion et de violation. Nous savons déjà qu’au point de vue économique la coopération due au clan se trouve fortement handicapée par la tendance du père à se montrer généreux envers le fils et à l’introduire dans les entreprises du clan. La vendetta (lugwa) n’est que rarement pratiquée : le paiement de la lula (prix de la paix) constitue une forme traditionnelle de compensation ou, plutôt, un moyen traditionnel de se soustraire à un devoir un peu sévère. Au point de vue sentimental, le père ou la veuve mettent beaucoup plus d’empressement que les parents légaux à venger la mort d’un fils ou d’un mari. Dans toutes les occasions où le clan agit comme une unité économique, dans les distributions cérémonielles, par exemple, il ne se montre homogène que par rapport aux autres clans. Mais, à l’intérieur du clan, on tient rigoureusement compte de l’individualité des sous-clans dont il se compose, et à l’intérieur de chaque sous-clan, des différences individuelles de ses membres. C’est ainsi que l’unité n’est pas exclusive d’une profonde différenciation qui tient compte des intérêts personnels et, last but not least, elle se montre parfaitement compatible avec le sens des affaires, avec l’esprit de suspicion, les jalousies et les procédés mesquins qui souvent l’accompagnent.

Lorsqu’on examine de près les relations personnelles qui prévalent dans le sous-clan, on ne manque pas de constater dans beaucoup de cas, ainsi que nous l’avons vu à Omarakana, l’existence de rapports fort tendus et même franchement inamicaux entre oncles et neveux. Entre frères existe souvent une amitié réelle : témoins Mitakata et ses frères, Namwana Guya’u et ses frères. Mais, d’autre part, les légendes ont enregistré et on observe