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LE COMMODORE PEYTON ABANDONNE MADRAS

tués ou blessés[1] et un seul de leurs bâtiments avait eu de graves avaries ; c’étaient tous des vaisseaux de guerre, tandis que, nous l’avons déjà dit, huit des bâtiments français n’étaient armés que d’une manière incomplète. Enfin la flotte anglaise avait choisi la station de Négapatam afin d’empêcher le passage de la flotte française. Abandonner ce mouillage c’était laisser Madras exposé aux attaques de l’ennemi.

Mais, en 1746, les Anglais n’étaient pas encore accoutumés à se regarder comme maîtres de l’empire des mers. Certains officiers à bord de l’escadre pouvaient se rappeler que quand, pendant des semaines entières, la flotte victorieuse de Tourville balayait la Manche, la flotte anglaise avait cherché un refuge dans la Tamise[2] Ce qui est certain c’est que le commodore Peyton agit alors comme aucun commodore anglais n’aurait pensé à le faire à l’époque des guerres de la Révolution. Parce qu’un de ses vaisseaux avait une voie d’eau, il jugea le combat trop hasar-deux pour s’y risquer ; confirmé d’ailleurs dans cette opinion par son conseil de guerre, il fit voile vers le Sud, se dirigeant sur Trinquemale, laissant ouverte la route de Pondichéry et désertant Madras qu’il était venu pour protéger.

Si La Bourdonnais se réjouit de la fuite de son ennemi il ne le montra pas ; au contraire, il sembla vouloir le poursuivre, mais ce ne fut qu’une démonstration et en réalité il dut éprouver un grand soulagement de sa disparition car il avait dépensé une grande partie de ses munitions et n’avait plus de provisions que pour vingt-quatre heures[3]. Il put donc reprendre le cours de ses projets, et envoyer au Bengale son vaisseau démâté l’Insulaire pour qu’il y fût réparé, puis, ralliant rapidement le reste de l’escadre, il reprit

  1. Les Anglais perdirent 14 tués et 46 blessés. Les Français eurent 27 tués et 53 blessés.
  2. Après la bataille de Beachy-Head, le 30 juin 1690.
  3. La Bourdonnais avance dans ses Mémoires qu’il eut un extrême regret en voyant les Anglais s’échapper. Il ajoute que n’ayant pas de provisions et ayant à bord beaucoup de malades et de blessés, il fut forcé de renoncer à les poursuivre. Dans sa lettre à Dupleix, il ne parle pas de la disparition des Anglais, mais il s’exprime ainsi : « La crainte de manquer Pondichéry, de gros fonds à remettre et, plus que tout, la disette de vivres, dont plusieurs navires n’avaient plus que pour vingt-quatre heures, me firent envisager la situation affreuse où je me trouverais si, malheureusement, je tombais sous le vent de la place, et cela m’a déterminé à faire voile pour Pondichéry. »