Page:Malleson - Histoire des Français dans l’Inde.djvu/376

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
356
CHUTE DE DUPLEIX

pour la France, et dont les services égalaient ceux de ses Coadé, de ses Villars, de ses Turenne. Le fondateur d’un empire est traité comme l’être le plus vil du genre humain ; on refuse d’entendre ses justes réclamations, qui jusqu’ici n’ont pas encore été satisfaites[1] ! L’homme qui, en Orient, avait acquis à la France des territoires plus étendus qu’elle ne l’est elle-même, fut traité comme un imposteur, un intrigant ! Cette organisation si belle, si brave ne put longtemps supporter une telle lutte. Il mourut le 10 novembre 1764[2].

Malgré tout, il occupera toujours dans la postérité un haut rang parmi les plus grands hommes français, et les descendants de ses rivaux dans l’Indoustan le placeront sur le même piédestal que les plus grands d’entre leurs héros, le piédestal des Clive, des Warren, des Hasting et des Wellesley !

  1. Il est étrange de voir que, parmi tous les changements que la France a subis dans son gouvernement, jamais il n’a été fait droit aux demandes de Dupleix. La République, l’Empire, la Restauration, les d’Orléans, la seconde République, le second Empire, doivent partager avec Louis XV le blâme dû à ce grand scandale. Nous rapportons ici une lettre écrite au Globe, par son correspondant de Paris, en date du 17 mai 1866, et qui fait voir que le dernier descendant de Dupleix est mort sans avoir vu reconnaître les droits de son ancêtre. « Une mort digne d’être mentionnée est celle du dernier descendant du grand nabab Dupleix, le célèbre Gouverneur de Pondichéry. La cotte d’armes dont Louis XV récompensa les triomphes diplomatiques qu’il avait remportés sur les Anglais dans l’Inde, a été exhibée pour la dernière fois au-dessus du portail de Saint-Philippe-du-Roule, tandis qu’on transportait au cimetière le modeste cercueil contenant les restes du dernier Dupleix. Le grand siège de Pondichéry, la gloire et la magnificence de Dupleix, ses richesses et sa disgrâce, son humiliation, sa pauvreté, sa mort misérable, tout cela est oublié ; il n’en reste plus de souvenir. La fête qu’il avait instituée à Pernan, lieu de sa naissance, en mémoire de la levée du siège de Pondichéry, a, depuis longtemps, cessé d’être célébrée, faute des fonds qu’il avait destinés à doter annuellement une villageoise. Il est mort dans la misère la plus profonde, après avoir eu à sa disposition des multitudes d’hommes, et des millions de roupies ; et l’agent infidèle qu’il avait chargé de placer le capital dont le revenu devait à perpétuité être appliqué à l’œuvre de bienfaisance qu’il avait conçue et rêvée sous le brûlant soleil de l’Inde, au milieu des luttes et des combats, n’ayant jamais versé les fonds, la commémoration du plus glorieux souvenir de sa vie ne s’est pas perpétuée. Son nom même n’existe plus. Lorsqu’en 1830, le ministère des finances fut envahi par la populace, le dernier placet par lequel Dupleix avait sollicité le règlement d’un compte de 13 millions, fut, comme d’autres papiers, jeté au dehors et emporté par le vent. Il tomba entre les mains d’un professeur de philosophie de Louis-le-Grand qui le fit encadrer et mettre sous verre, puis le suspendit dans sa classe et en fit le sujet de plus d’une leçon sur la vanité des richesses et sur les diverses natures d’ailes dont elles se revêtent pour s’envoler loin de nous. »
  2. Il mourut dans une maison de la rue Neuve-des-Capucines, sur l’emplacement où était encore, il y a peu d’années, le ministère des affaires étrangères, à quelques pas de la résidence officielle de la Compagnie.