Page:Malleson - Histoire des Français dans l’Inde.djvu/444

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
424
DERNIÈRE LUTTE

marche la nuit suivante, et, au moindre souffle de vent, sa prudence exagérée lui faisait carguer toutes ses voiles. Il suivit une tactique qu’il faut, selon l’expression si juste de M. Orme, « étudier pour la bien éviter. » Et cela au moment où la flotte anglaise suivait son sillage, et où la possession de l’Inde dépendait de la prompte arrivée des vaisseaux dont il entravait sans cesse la marche. S’il est quelqu’un sur qui doive peser plus lourdement la responsabilité du mauvais succès de l’expédition de Lally, c’est assurément sur d’Aché qu’en doit retomber tout le poids. S’il avait mis un peu plus de rapidité dans sa marche, qu’il eût perdu un peu moins de temps pour son navire et dans son séjour à Rio-de-Janeiro, Lally ne pouvait manquer, avec son aide, de s’emparer du fort Saint-David et de Madras. Lui-même reconnaissait qu’en de telles conjonctures il aurait eu le pouvoir d’expulser les Anglais du Bengale.

Enfin, le 28 avril, la flotte jeta l’ancre devant Pondicbéry, et Lally arriva avec plusieurs de ses principaux officiers. Parmi eux étaient des représentants des plus grandes familles aristocratiques de la France monarchique. Il avait sous ses ordres un d’Estaing, descendant de celui qui sauva Philippe-Auguste à la bataille de Bouvines et qui transmit à sa famille la cotte d’armes portée par les rois de France ; un Grillon, arrière-petit-fils de Grillon surnommé le Brave et jugé digne de l’affection du grand Henri IV ; un Montmorency, un Conflans, un La Fare, et bien d’autres du plus haut rang[1]. On y trouvait encore Breteuil, Verdière, Landivisiau, et nombre d’officiers de bonne famille et du plus grand mérite. Une circonstance singulière, qui se produisit avant le débarquement, ne manqua pas d’être regardée par beaucoup de personnes, et surtout par les marins, comme un très-mauvais présage. Lorsque l’arrivée de Lally en rade de Pondichéry fut connue des autorités, elles ordonnèrent un salut d’artillerie en son honneur. Par accident, quelques-uns des canons dont on se servit étaient chargés à boulet ; par un hasard plus fâcheux encore, le Compte-de-Provence, que montait Lally, reçut cinq projectiles, dont trois percèrent sa coque et deux endommagèrent son gréement.

  1. Fragments de Voltaire.