Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/105

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dans une incertitude poignante. Est-il loyal d’épouser la fiancée que l’on a cessé d’aimer ? Est-il loyal de reprendre sa parole ? Je vous demanderai de décider pour moi. Les femmes ont toujours plus de subtilité que nous pour résoudre les problèmes du cœur. Dictez-moi ma conduite… Je remets mon sort entre vos mains.

Laurence, atterrée par cette révélation, songeait à Bessie… Ainsi, c’était Bessie qui l’avait assistée à Versailles, comme on ramasse un blessé tombé dans le fossé. Mlle d’Hersac s’expliquait à présent la compassion, la sensibilité féminines de l’étrange et sympathique adolescent. La jeune Américaine, touchée, remuée par cette douleur filiale, avait eu un élan spontané qui l’attachait en cinq minutes à cette amie de rencontre. Et Laurence la récompenserait de ses bontés en lui volant son fiancé !

Quelle déchirure… Laurence contemple ardemment Warton : jamais elle ne l’a tant aimé qu’à cette seconde ; elle emplit son regard de ces traits chéris : ces yeux d’un gris lumineux d’où émane une force supérieure, ce front pensif, cette beauté mâle de l’Anglo-Saxon. Mais la position où elle est placée ne lui permet pas la réflexion, l’examen, la comparaison… Le jugement est rendu d’avance : il s’impose à sa conscience.

Et, se roidissant, se dominant une fois de plus, la jeune fille murmure d’une voix blanche :

— Vous devez épouser miss Arnott. Vous n’avez pas le droit de lui causer une déception, tant qu’elle vous aimera.

— Vous avez raison, dit simplement Jack Warton.

Il se lève, tortille son feutre, le pose sur