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Page:Marais - Nicole, courtisane.djvu/109

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si sensibles aux récits d’amours malheureuses, c’est que chacune de nous a eu quelque Julien dans sa vie. En écoutant les variations, on retrouve le mode mineur du thème unique : à travers les détails d’une aventure différente, vous avez exprimé ma douleur d’antan… Comme vous, je fus une fillette aimante, passionnée, trop tôt désabusée… Et quoique je sois votre aînée de quatre années seulement, je suis assez âgée pour me sentir très émue à l’évocation des dix-huit ans que me rappellent vos dix-neuf ans… C’est pourquoi je vous demande de m’excuser… Si j’ai eu ce geste inattendu, involontaire, si je vous ai embrassée spontanément — ainsi que j’aurais envoyé un baiser à mon ancienne image — c’est que, dans les yeux de Sylvie, je viens de revoir tout le passé de Nicole…

Sylvie sourit, pour la première fois. Ses lèvres roses découvrent des quenottes minuscules : on dirait qu’elle a gardé ses dents de lait. Elle m’interroge, avec une incrédulité naïve :

— Vous aussi, on vous a laissée, abandonnée ?… Comment cela a-t-il pu se faire : vous êtes si belle !