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Page:Marie Nizet - Le capitaine vampire.djvu/27

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maux de race féline. La puissance de ce regard était telle qu’il n’était donné à personne de le soutenir.

Les dames de Pétersbourg disaient que Liatoukine avait le mauvais œil et s’empressaient de toucher du fer à son approche.

Liatoukine parlait peu, il avait un son de voix métallique qui faisait merveille dans la mêlée, mais qui résonnait étrangement dans un salon ; jamais on ne l’avait vu rire, et quand il souriait, ses traits prenaient une expression de férocité à laquelle ses plus anciens amis n’étaient pas encore habitués. Il avait reçu de la nature un don précieux que ses camarades lui enviaient : celui de boire du vin comme les autres buvaient de l’eau ; une grosse améthyste qu’il portait au doigt le préservait, assurait-on, de l’ivresse. Ayant beaucoup d’influence, il avait peu d’ennemis déclarés ; son hôtel à Saint-Pétersbourg était le lieu de rendez-vous ordinaire des ministres et des ambassadeurs. Il avait publié un traité de stratégie fort estimé, et le Tzar l’envoyait parfois en mission secrète à Vienne, à Londres ou à Berlin. Somme toute, le capitaine Vampire était un officier de grande valeur ; il s’était distingué en Crimée, à Khiva, et les aides-de-camp du grand-duc Nicolas disaient tout bas qu’il serait général avant la fin de la campagne.

Pour le reste, un mystère planait sur sa vie, et personne n’en savait plus que Stenka Sokolitch.

Un témoin eût été frappé du changement que la présence de Liatoukine avait apporté dans la manière de s’exprimer de ces jeunes fous. Ce cher Boris était devenu mon colonel ; la familiarité s’était convertie en déférence.

Liatoukine vidait lentement un énorme verre de vin de Cotnar et promenait son regard magétinque sur ses compagnons.