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l’héritage

les idées dansaient, ne put regagner son cabinet noir. Il se coucha, peut-être par mégarde, peut-être par oubli, dans le lit encore vide où allait entrer sa femme. Et toute la nuit il lui sembla que sa couche oscillait comme un bateau, tanguait, roulait et chavirait. Il eut même un peu le mal de mer.

Il fut bien surpris, en s’éveillant, de trouver Cora dans ses bras.

Elle ouvrit les yeux, sourit, et l’embrassa avec un élan subit, plein de gratitude et d’affection. Puis elle lui dit, de cette voix douce qu’ont les femmes dans leurs câlineries : « Si tu veux être bien gentil, tu n’iras pas aujourd’hui au ministère. Tu n’as plus besoin d’être si exact, puisque nous allons être très riches. Et nous partirions encore à la campagne, tous les deux, tout seuls. »

Il se sentait reposé, plein de ce bien-être las qui suit les courbatures des fêtes, et engourdi dans la chaleur de la couche. Il éprouvait une envie lourde de rester là longtemps, de ne plus rien faire que de vivre tranquille dans la mollesse. Un besoin de paresse inconnu et puissant paralysait son âme, envahissait son corps. Et une pensée vague, continue, heureuse, flottait en lui : « Il allait être riche, indépendant. »

Mais tout à coup une peur le saisit, et il demanda tout bas, comme s’il eût craint que ses