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Page:Mendès - Le Roi Vierge - 1881 (leroiviergeroma00mendgoog).djvu/294

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LE ROI VIERGE

chambellans fort connus dans les coulisses, et des maîtres de chapelle fort considérés dans les cours ; deux plantureuses comtesses, l’une moscovite, l’autre italienne, qui s’étaient ruinées toutes les deux pour le même ténor, et un contralto, étique, un signe trop noir au bord de la lèvre, qu’avait failli épouser de la main gauche l’unique héritier d’une famille régnante. De sorte qu’un peu d’abandonnement, de débraillé du côté des patriciens, et beaucoup de prétention à l’aristocratie, à la tenue, du côté des artistes, permettaient aux deux éléments du groupe de se juxtaposer, de se fondre, et, malgré la distance des rangs, les faisaient paraître de niveau.

Frédérick remarqua, à l’un des bouts de la table, un homme déjà vieux, maigre, le buste long serré dans une redingote de prêtre ; hors du collet de l’habit, droit, malpropre, qui ne laissait pas voir de linge, sous des cheveux gris pendants, s’érigeait une face glabre et terreuse, ouvrant des yeux durs, ravinée de fortes rides et mamelonnée çà et là de grosses verrues où broussaillaient des poils. Cette laideur était forte, impérieuse, violente, avait l’air de menacer ; ou plutôt non, cette face n’était pas laide, elle