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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/346

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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

n’est ni madame de Genlis, ni madame de Staël, ni madame Roland, — et une femme à la mode, qui n’est ni madame Hamelin, ni madame Récamier ; loin de là.

Ainsi que cela arrive pour beaucoup d’auteurs médiocres, la vie de la Morency est cent fois plus curieuse et plus intéressante que sa littérature ; c’est là son meilleur roman. Les feuillets en ont été éparpillés sur tous les grands chemins, partout où soufflait un vent amoureux, aujourd’hui à Paris, demain à Bruxelles, dans les bosquets, dans les camps, dans les boudoirs. La Révolution ne paraît avoir existé pour elle qu’à l’état de décoration, de toile de fond, comme on dit au théâtre ; elle a toujours vécu, sinon en dehors des hommes politiques, du moins des choses politiques.

Suzanne Giroux, — qui se fit appeler plus tard madame de Morency, — naquit dans la rue Saint-Denis, d’une famille de riches négociants. Dès l’âge de quatorze ans, elle annonçait ce qu’elle devait être un jour, et sa coquetterie pressée d’éclore se trahissait déjà dans les plis de sa robe de linon, dans son fourreau blanc, dans le ruban rose qui serrait ses cheveux, et jusque dans ses mules mignonnes à talons bordés. C’était une espiègle et romanesque petite personne, toute fraîche sortie du couvent des Ursulines, et dont le cœur murmurait de confus monologues, en attendant l’heure des dialogues.

Un jour qu’elle se promenait à la campagne, elle aperçut un avocat de Soissons, couché négligemment sur l’herbe fleurie, auprès d’une source ombragée par un tilleul. Quoique cet avocat eût plus de trente ans, il les paraissait à peine, car il était grand et