Aller au contenu

Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/347

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
333
LA MORENCY.

mince ; il avait l’œil superbe, la bouche à l’autrichienne. Dans un élégant costume, il tenait à la main une flûte dont il tirait les sons les plus mélodieux. Suzanne s’arrêta charmée, écoutant et regardant, semblable à une de ces nymphes que l’on représente écartant les branches des bois pour prêter l’oreille aux accords d’un Palémon ou d’un Lysandre.

Cette idylle, où je ne peux m’empêcher de voir quelque préméditation, eut un dénouement plus moral que poétique : après bien des traverses et bien des obstacles de la part de sa famille, Suzanne Giroux épousa son joueur de flûte ; l’églogue s’acheva par-devant notaire. La noce terminée, elle embrassa son père et sa mère, ses deux frères et ses dix sœurs, — car la famille Giroux était nombreuse, — puis elle suivit son mari à Soissons, où il avait un cabinet assez renommé. Ce fut là que la Révolution vint les surprendre.

Il y avait alors à Soissons deux avocats en rivalité de réputation et d’affaires ; tous les deux avaient la même taille, la même tournure et presque le même nom. L’un s’appelait Quillet, c’était le mari de Suzanne ; l’autre s’appelait Quinette. Ce dernier louchait un peu, mais cela ne lui messéyait pas ; il avait de l’esprit, beaucoup d’amabilité, un air sentimental à l’occasion. Il rencontra madame Quillet à un dîner d’apparat, et eut l’honneur de se trouver de moitié avec elle dans un reversis, où il perdit trois paniers, toutes les fois que le quinola gorgea dans ses mains. Cette maladresse était due au trouble que lui avait inspiré la vue de notre héroïne. Celle-ci, de son côté, qui ne se sentait pas le cœur bien défendu, joua éga-