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Page:Monselet - Les Ressuscités, 1876.djvu/290

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LES RESSUSCITÉS

« La première fois que j’ai rencontré Ourliac, — a écrit M. Arsène Houssaye, — c’était durant le carnaval de 1835, au bal de l’Opéra-Comique. On faisait cercle pour le voir danser. Il avait imaginé de représenter en dansant Napoléon à toutes les périodes suprêmes de sa vie : aux Pyramides, à Waterloo, à Sainte-Hélène. Il menait en laisse une femme qui ressemblait à un mélancolique pastel de Landberg, une de ces femmes qui vivent le plus honnêtement possible en deçà du mariage et hors du célibat. Nous fûmes du même souper ; je m’aperçus que sous le danseur il y avait un poëte… Il avait écrit deux romans de pacotille. C’était son désespoir. Il ne savait comment racheter ses premiers péchés littéraires. Il vivait avec son père et sa mère, rue Saint-Roch. Il habitait une petite chambre bleue, si j’ai bonne mémoire, tapissée de quelques pastiches de Watteau et de Boucher ; sa bibliothèque renfermait presque autant de pipes que d’in-octavo. On ne l’y voyait que le soir ou le dimanche, car il était attelé à un petitemploi de douze cents francs aux Enfants-Trouvés. Il avait beaucoup de camarades et peu d’amis. C’était dans notre poétique bohème de l’impasse du Doyenné que nous vivions en familiarité avec ce charmant esprit. Ourliac venait tous les matins nous voir dans ce royaume de la fantaisie. C’était son chemin pour aller aux Enfants-Trouvés… Nous n’avions pas d’argent, mais nous vivions en grands seigneurs ; nous donnions la comédie ; ces dames de l’Opéra soupaient chez nous, vaille que vaille, et daignaient danser pour nous à la fortune de leurs souliers. Édouard Ourliac surtout donnait la comédie. C’était le Molière de la bande. Il était auteur et acteur avec la même verve et la même gaieté. À une de nos