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Page:Monselet - Les Ressuscités, 1876.djvu/31

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CHATEAUBRIAND

Frédérique délaissée explique le Faust de Goethe, — et le pâle sourire de Lucile ajoute une page à René.

Cette histoire qui ne ressemble à rien, pleine d’audace ténébreuse, cette grande tragédie en cinq ou six feuillets, où des filets de sang se sont mêlés sans doute à l’encre qui les a écrits, ce petit roman fataliste contient Chateaubriand tout entier. À d’autres les amours faits de sourires et d’aventures, le sonnet soupiré aux pieds de la femme en robe de bal, dans un boudoir odorant. En Bretagne, du côté de la mer, sous les arbres remplis d’une plainte éternelle, cela se passe autrement. L’amour est fait d’une plus funeste essence. Il est rare qu’on en guérisse ; Chateaubriand n’en a pas guéri.

Pauvre gentilhomme breton ! enfant des solitudes mauvaises ! Un jour, en te rappelant ta jeunesse désolée, tu devais écrire cet involontaire aveu : « Nous sommes persuadés que les grands écrivains ont mis leur histoire dans leurs ouvrages. On ne peint bien que son propre cœur, en l’attribuant à un autre ; et la meilleure partie du génie se compose de souvenirs. »