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Page:Montesquieu - Deux opuscules, éd. Montesquieu, 1891.djvu/64

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MONTESQUIEU

bonheur, l’impression ne s’en renouvelle que dans les occasions.

Nous obtenons la considération de ceux avec qui nous vivons, et la réputation de ceux que nous ne connaissons pas ; mais la grande différence est que la considération est le résultat de toute une vie, au lieu qu’il ne faut souvent qu’une sottise pour nous donner de la réputation.

Il n’est rien de si difficile que de soutenir sa réputation, en voici la raison : celui qui loue quelqu’un ne le fait ordinairement que pour faire ressortir la finesse de son discernement, en louant un homme on se félicite de l’avoir rendu louable et d’avoir trouvé son mérite qui avait échappé aux autres yeux, on veut donner quelque chose du sien ; mais comme on ne donne rien à un homme dont la réputation est faite, que Ton ne parle de lui qu’avec tout le monde, on aime mieux lui préférer un homme peu connu ; de là tant de réputations faites et perdues, et de là cette contradiction éternelle dans le jugement des hommes.

Les réputations brillantes sont les plus exposées, car il n’y a aucun mérite à les trouver ; il paraît bien plus ingénieux de savoir les anéantir ; le brillant du Prince Eugène a relevé des trois quarts le mérite d’un autre général de l’Empereur ; le brillant de Monsieur le Prince a infiniment servi à la gloire de Monsieur de Turenne ; et on peut