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Page:Montesquieu - Deux opuscules, éd. Montesquieu, 1891.djvu/74

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MONTESQUIEU

que les Places, même sans mérite : rien de si triste au fond qu’un grand seigneur sans Vertus, accablé d’honneurs et de respects ; et à qui on fait sentir a tout moment qu’on ne les doit qu’à sa Dignité, et rien à sa personne. Heureusement l’Amour propre, qui est le plus grand des flatteurs, sait ordinairement lui cacher son insuffisance.

Il y a des mérites qui portent à l’émulation et qui ne sont pas au-dessus de l’exemple ; mais l’envie aussi sait bien élever des hommes médiocres, pour affaiblir le mérite d’un grand homme. Le Prince Eugène a fait de grands Généraux en Europe. L’envie vous sert quelquefois, et vous illustre au-dessus de vos qualités propres. Il y a aussi des mérites supérieurs, que la malignité laisse passer sans rien dire : tel étoit celui de Monsieur de Turenne. Le mérite qui nous approche ordinairement nous incommode ; mais la Réputation se forme loin de nous. Il est difficile d’acquérir de grandes Richesses sans qu’il en coûte à la Réputation, à moins qu’on ait fait auparavant provision de beaucoup de Mérite, d’Honneurs et de Dignités ; et que les Richesses viennent d’elles-mêmes, comme inséparables des grandes places : on n’envie alors les Richesses des grands hommes pas plus que l’or que l’on voit dans les Temples des Dieux.

Rien de si heureux qu’un homme qui jouit d’une Considération méritée, attachée à sa personne et non à la place qu’il occupe. C’est un plaisir qui se fait sentir à tout moment, et par tous ceux qui nous approchent. Tous ces complimens vuides de réalités et où la vérité n’a point de part, sont pour lui des marques de l’estime publique. Tous ces égards, tous ces riens sont relevés par-là : son bonheur double