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Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/29

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D’ailleurs, cela ne m’eût servi à rien, les filles de dix-huit ans regardant un garçon de seize ans comme un enfant, ce dont je ne les blâme nullement. Pourtant, nous autres, garçons de la quatrième classe, nous venions chaque soir au marché de l’Ouest pour regarder la belle Grecque. L’individu, qui se tenait tout à l’heure devant moi, avec son châle sur l’épaule, y vint un jour avec nous, quoique moins âgé d’une couple d’années, et conséquemment trop innocent, trop naïf pour partager notre admiration. Mais il était le premier de notre classe, — très intelligent et très capable, je dois en convenir, — et il aimait beaucoup à rire, à jouer et à se battre. Voilà pourquoi il se trouvait avec nous.

Nous étions donc au nombre de dix, pour le moins, à regarder cette jeune fille, d’assez loin, et nous demandant comment nous nous y prendrions pour faire sa connaissance. En fin de compte, on décida de se cotiser pour lui acheter quelque chose. Mais, à qui incomberait-il d’attacher le grelot ? Qui de nous se déciderait à lui parler ? Chacun le voulait, nul ne l’osait. On tira au sort, mon nom sortit du chapeau. J’avoue que je n’aime ni courir ni braver un danger inutile. Je suis époux et père, et je tiens pour fou quiconque cherche le péril, parfaitement d’accord, en cela, avec l’Ecriture Sainte. Il m’est vraiment agréable de remarquer combien je suis resté conséquent avec moi-même, dans mes idées sur le danger, puisqu’en ce moment mon opinion à ce sujet est exactement la même que ce soir là, où les vingt-cinq sous de notre cotisation à la main, je m’arrêtai devant la baraque du Grec. Mais voilà, que, par fausse honte, par respect humain, je n’osai pas avouer que je n’osais pas ! mes camarades étaient