Aller au contenu

Page:Necker - Réflexions présentées à la nation française sur le procès intenté à Louis XVI - 1792.pdf/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 13 )

mort, et que par conséquent il n’a pu reconnoître, on n’y voit, en la tenant pour véritable, qu’un projet sans exécution, et dont les agens ne sont ni indiqués ni connus. Pourquoi donc ne présumeroit-on pas, que le Roi, éclairé par sa propre réflexion, auroit rejeté des idées proposées sous un faux jour, et qu’il avoit, peut-être, un moment écoutées ? Toute cette affaire, telle qu’on la présente, est au moins infiniment obscure ; mais en la supposant réelle, en la supposant démontrée, on aurait encore à dire, que l’exemple de l’Angleterre, exemple exagéré dans l’opinion, auroit pu facilement égarer le Roi sur le jugement qu’il devoit porter des moyens de séduction. J’ai connu, dans tous les pays, des hommes très-estimables sous divers rapports, et qui professent hautement des opinions absolument différentes des miennes, sur cette partie de la morale politique. Il faut de plus montrer de l’indulgence pour les erreurs que l’on commet dans une circonstance unique, et où les devoirs politiques et les devoirs moraux, paroissent souvent se combattre. Enfin, j’oserai le dire, seroit-on en droit de faire un crime, d’avoir voulu gagner des voix, à prix d’argent, au milieu d’une contestation politique, où l’on se permettoit de subjuguer les opinions par des menaces et par la violence ; cette manière de captiver les suffrages est bien autrement efficace, est bien autrement condamnable. Les temps de révolution seroient une source intarissable de reproches et d’accusations, si l’on examinoit chaque action séparément des circonstances qui les ont décidées[1].

On attribue à la Reine un écrit intitulé : Liste des gens de ma connoissance ; et en le présentant comme une recommandation en faveur des Émigrés, comme une recommandation pressante adressée à la Gouvernante des Pays-Bas, on en fait un sujet d’accusation. Cependant, un peu plus d’examen auroit fait juger que cet Écrit, quoique saisi dans un des Porte-feuilles de la Reine, n’étoit pas d’elle, mais de son illustre mère. La plupart des personnes, dont les noms s’y trouvent cités, sont mortes il y a long-temps, et d’autres n’ont pas quitté la France ; mais elles avoient toutes été connues à la Cour de Vienne, et l’Impératrice en ayant conçu une opinion avantageuse, les désignoit à sa fille comme propres à la servir ou à diriger ses premiers pas dans une Cour étrangère. On pouvoit encore appercevoir, qu’un Mémoire destiné à recommander un si grand nombre de personnes, n’étoit pas de la Reine, si l’on avoit fait attention qu’on y em-

  1. On présente aussi, comme un délit politique, une remise d’argent à M. de Bouillé ; mais ce payement se rapporte, je n’en doute point, au remboursement des dépenses que le plan de l’évasion du Roi a dû nécessairement occasionner, et cette entreprise a été mise à l’abri de toute recherche, par un Décret spécial du Corps Législatif.