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Page:Pérochon - Les Creux de maisons.djvu/141

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collègues plus jeunes. Bien des fois, sous les rebuffades des anciens, l’orgueil du petit surnu se cabra.

Après son service militaire, Lucien ne tarda pas à passer commis, et dès lors, il fut un peu plus libre. Il prit goût à la lecture ; il lut au hasard, allant du meilleur au pire. Il dévora pêle-mêle des romans douceâtres d’académiciens vieillis, des polissonneries de pseudo-humoristes, des élucubrations d’écrivains douteux, histoires tristes et sales comme de vieilles plaies.

Les romanciers naturalistes le choquèrent, puis l’enthousiasmèrent. Zola le conduisit rapidement au socialisme. Un beau jour, il se mit à étudier la sociologie, mais il s’en lassa vite et se rabattit sur les écrivains politiques.

Il ne parut plus à sa pension qu’avec des journaux très avancés dont le titre flamboyait hors de sa poche. Il avait pour camarades à cette pension trois employés de finance, de ceux qu’on voit sous une pelisse quand ils n’habitent plus leur petite cage de fer. Il aurait souhaité les étonner ; mais ces jeunes gens frileux et ironiques coupaient net ses tirades. En vain leur lisait-il des chapitres entiers de Zola : ils riaient des obscénités et niaient le lyrisme. Quand Lucien leur parlait de fraternité, d’injustices à réparer, eux ne manquaient point de citer Angèle la cuisinière, plus connue sous le nom de Cul-de-Zinc ; et ils encourageaient leur camarade à épouser lestement cette quinquagénaire sèche et barbue qui, disaient-ils, n’avait jamais connu le bel amour, bien qu’elle eût préparé là soupe et le bœuf à vingt générations d’ardents ronds-de-cuir.