Aller au contenu

Page:Pérochon - Les Gardiennes (1924).djvu/210

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
198
LES GARDIENNES

court par les fossés. Il menait vivement le bateau, ayant hâte de rentrer. Francine, assise loin de lui, détournait la tête, les yeux perdus au loin, dans l’ombre vague, sous les arbres fuyants.

Des cris de femmes offensèrent le silence, puis des rires et des voix à l’accent étranger. Une barque devait voyager par là, emportant des Américains et des filles légères. Georges se rembrunit, un juron lui échappa. Il ft tourner le bateau et rebroussa chemin, voulant éviter cette rencontre. Et il dit, amèrement :

— Les filles de chez nous ne perdent pas leur temps pendant que nous nous faisons tuer pour elles !

— Celles que nous venons d’entendre sont de Saint-Jean, sans doute, observa Francine en manière d’excuse.

Il répliqua avec vivacité, d’une voix qu’une mauvaise jalousie faisait trembler :

— Celles de Sérigny sont différentes peut-être ? On me le ferait difficilement croire !

Ayant dit cela, il ne parla plus, maussade.

Il n’eut, vers Francine, un véritable élan de jeunesse qu’après l’avoir ramenée au chemin de halage sur le bord du Grand Canal. D’un rapide coup d’œil, ayant inspecté les alentours, il la serra contre lui, avidement. Elle, tendit ses lèvres, dominée, incapable absolument d’échapper à ce vertige qui emportait sa volonté.

— Rentre vite ! dit-il, la nuit vient.

Docile, elle s’en alla, la tête chavirée, avec des yeux larges de visionnaire.