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Page:Palissy - Oeuvres complètes (P. A. Cap, 1844).djvu/138

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à ses seruiteurs de planter en ses terres le nombre de cent mille pieds d’arbres, disant ainsi, que lesdits arbres pourroyent valoir chacun vingt sols auparauant que sa fille fust bonne à marier : et ainsi, lesdits arbres vaudroyent cent mille liures, qui estoit le prix qu’il pretendoit donner à sa fille. Voila vne prudence grandement louable : à la mienne volonté, qu’il y en eust plusieurs en France, qui fissent le semblable. Il y en a plusieurs qui aiment le plaisir de la chasse, et la frequentation des bois : mais cependant ils prennent ce qu’ils trouuent, sans se soucier de l’aduenir. Plusieurs mangent leurs reuenus à la suite de la Cour en brauades, despences superflues, tant en accoustrement, qu’autres choses : il leur seroit beaucoup plus vtile de manger des oignons auec leurs tenanciers, et les instruire à bien viure, monstrer bon exemple, les accorder de leurs différens, les empescher de se ruyner en procès, planter, edifier, fossoyer, nourrir, entretenir, et en temps requis, et necessaire, se tenir prests à faire seruice à son Prince, pour defendre la patrie. Ie m’esmerueille de l’ignorance des hommes, en contemplant leurs outils d’agriculture, lesquels on deust auoir en plus grande recommandation, que non pas les precieuses armures : toutesfois, il semble à certains Iuuenceaux, que s’ils auoient manié vn outil d’agriculture, qu’ils en seroient deshonnorez, et vn Gentilhomme tant pauure qu’il soit et endetté iusques aux aureilles, s’il auoit vn peu manié vn ferrement d’agriculture, il luy sembleroit estre vilain. À la mienne volonté, que le Roy eust erigé certains offices, estats, et honneurs à tous ceux qui inuenteroient quelque bel engin, et subtil pour l’agriculture. Si ainsi estoit, tout le monde se ietteroit apres, à qui mieux mieux, pour paruenir. Iamais ingenieux ne furent plus empressez à l’assaut d’vne ville, qu’aucuns s’empresseroient : et tout ainsi que tu vois qu’ils mesprisent les anciennes façons d’habillemens, ils mespriseroient aussi les anciens outils de l’agriculture, et à la verité, ils en inuenteroient de meilleurs. Les armuriers changent souuent les façons des hallebardes, d’espees et autres arnois : mais l’ignorance de l’agriculture est si grande, qu’elle demeure tousiours à vne mode accoustumee : et si leurs ferremens estoient lourds au commencement qu’ils furent inuentez, ils les entretiennent tousiours en leur lourdeté : en vn pays, vne mode accoustumee sans changer, en vn autre pays vne autre