Aller au contenu

Page:Palissy - Oeuvres complètes (P. A. Cap, 1844).djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
98

grand. Lors ie luy dis tout doucement que tous ceux qui boiuent le laict et vestissent la laine des brebis, sans les repaistre, sont maudits : et lui alleguay le passage qui est escrit en Ieremie le Prophete, Chapitre 34. Adonc il s’esleua d’une bravade et furie merueilleusement superbe, en disant : Quoy ? selon ton dire, il y en auroit un bien grand nombre de damnez et maudits de Dieu : car ie say qu’en nostre Cour souveraine, et en toutes les Cours de la France, il y a bien peu de Conseillers et Présidens qui ne possédent quelque morceau de bénéfice qui aide à entretenir les dorures et accoustremens, banquets et menus plaisirs de la maison, voire pour acquester auec le temps quelque place noble, ou office de plus grand honneur et authorité. Appelles-tu cela folie ? C’est une grandissime sagesse, disoit-il : mais c’est une grand’ folie que de se faire pendre ou bruler, pour soustenir les authoritez de la Bible. Item, disoit-il, ie say qu’il y a plusieurs grands Seigneurs en France, qui prennent le reuenu des benefices, toutesfois, ils ne sont pas fols, mais grandement sages : car cela aide beaucoup à entretenir leurs estats, honneurs et grasses cuisines : et par tel moyen, ils ont de bons chevaux pour le seruice de la guerre. Quand i’eus entendu le propos de ce miserable symoniaque inveteré en sa malice, ie fus tout confus, et m’escriay en mon esprit, en esleuant les yeux en haut, et disant, O pauures Chrestiens, où en estes-vous ? vous pensiez abbatre l’idolatrie et avoir gagné la partie, ie cognois à présent que vous n’auiez garde de ce faire : car selon le dire de cestuy Conseiller, vous auez toutes les Cours de Parlement contre vous : et s’il est ainsi, qu’il m’a dit, vous auez aussi plusieurs grands seigneurs qui prennent profit du reuenu des benefices, et tandis qu’ils sont repus d’un tel bruuage, il faut que vous esperiez qu’ils seront touiours vos ennemis capitaux et mortels. Parquoy, je suis d’avis que vous retourniez à vostre premiere simplicité, vous asseurant que vous aurez des ennemis et serez persecuté tout le temps de vostre vie, si par lignes directes, vous voulez suiure et soustenir la querelle de Dieu : car telles sont les promesses originalement escrites au vieux et nouueau testament. Ayez donc vostre refuge à vostre chef, protecteur, et capitaine notre seigneur Jésus Christ, lequel en temps et lieu, saura tres bien venger l’iniure qui luy aura esté faite, et en cas pareil la vostre.