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Page:Palissy - Oeuvres complètes (P. A. Cap, 1844).djvu/188

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DES EAUX

circonuoisines sont nettes de tous mineraux, salpestres et autre substance que les eaux pourroyent prendre en passant par les terres. Toutesfois depuis que les eaux sont entrees dedans les puits elles croupissent, et sont aisees à empoisonner, par ce qu’elles n’ont point de cours. Si tu auois leu l’histoire de Iehan Sleidan, tu connoistrois que les eaux des puits et cisternes sont suiettes aux poisons. Il raconte que durant la guerre que l’empereur Charles cinquiesme fit contre les protestans, il fut empoisonné plusieurs puits et eaux dormantes, et qu’il fut pris vn homme qui confessa estre venu de lointain pays, expres pour faire ce mauuais effect, et ce par le commandement de deux grands personnages que ie ne veux nommer[1]. Au grand marché de Meaux en Brie, en la maison des Gillets, l’on voulut curer vn puits, et pour ce faire, le premier qui y descendit mourut soudain au fonds dudit puits, et fut enuoyé vn autre pour sçauoir la cause, pourquoy iceluy ne disoit aucune chose, et mourut comme l’autre : il en fut renuoyé encore vn qui descendit iusques au milieu : mais là estant, se print à crier pour se faire tirer diligemment, ce que fut fait, et estant dehors, se trouua si malade qu’il trauailla beaucoup à sauuer sa vie[2].

Item, vne autre histoire racompte qu’il y eut iadis vn Medecin qui se voyant destitué d’argent et de practiques, s’auisa de ietter quelques drogues dans les puits de la ville de son habi-

  1. Voici le passage de Sleidan : « Vers le même temps, l’électeur de Saxe et le landgrave de Hesse publièrent un écrit où ils disoient qu’ils avoient appris de gens dignes de foi, que le Pape qui étoit l’Antéchrist Romain, l’organe de Satan, et l’auteur de cette guerre, et qui quelques années auparavant avoit envoyé des incendiaires en Saxe qui y avoient causé de grands dommages, y avoit fait présentement passer des empoisonneurs pour empoisonner les puits et les étangs, afin de faire périr par le poison ceux qu’ils n’avoient pu détruire par le fer et les armes » [Histoire de la Réformation, ou Mémoire de Jean Sleidan sur l’état de la religion et de la république sous l’empire de Charles-Quint  ; 1767, t. II, p. 360). Une note de le Courrayer, traducteur de Sleidan, relative à ce passage, montre l’absurdité des soupçons populaires à ce sujet. “La quantité de poison qui serait nécessaire, dit-il, pour le succès d’une telle scélératesse, rend la chose incroyable, lors même qu’il y aurait des gens assez méchants pour donner une telle commission ou pour s’en charger.” Cette croyance n’en était pas moins très-répandue parmi le peuple à l’époque des guerres de religion.
  2. Les accidents d’asphyxie causés par l’accumulation de gaz délétères au fond de certains puits, passaient alors pour l’effet d’un poison dont chaque parti accusait l’autre d’avoir infecté les eaux potables.