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Page:Palissy - Oeuvres complètes (P. A. Cap, 1844).djvu/287

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DES GLACES.

contre l’autre, et par tel moyen les riuieres se glacent tout au trauers. Voila la cause qui les trompe, et qui leur fait soustenir que la riuiere se glace au fond[1]. Si ainsi estoit, où est ce que les poissons habiteroyent, quand les riuieres seroyent gelees ? C’est vne chose toute certaine que plusieurs poissons maritimes se retirent au fond de la mer durant les grandes froidures : Ce qui se peut verifier par les pescheurs Xaintonniques, qui en temps d’esté peschent des maigres et des seiches en si grand nombre, qu’il y a tel homme qui en fait saler et secher pour plus de cinq cents liures tous les ans : desquels ne s’en pesche pas vn en hyuer : et si ainsi est des poissons de la mer, combien plus de ceux des riuieres ? il n’est pas iusques aux grenouilles qu’elles ne se plongent au fond de l’eau, mesme dans les vases, pour conseruer leur vie durant le froid. Car autrement tous les poissons mourroyent ; aucuns ayans frequenté en Moscouie, Prusse et Pologne, disent qu’en temps d’hyuer, les pescheurs de ces pays là prennent grand peine à rompre les glaces de certaines riuieres, ou lacs : et ayant fait vn trou d’vn costé et vn d’vn autre il mettent les filets a l’vn des trous, et par l’autre ils chassent le poisson, et par ce moyen prennent vne grande quantité de poissons. Brouille et fagotte à present tes opinions, tu n’as garde de me faire croire que la riuiere soit aussi gelée au fond, et que l’habitation des poissons soit entre deux glaces. Autre exemple, consideres vn peu la forme des glaçons lorsque la riuiere commence à glacer, ils n’ont autre forme que platte, comme le verre duquel les vitriers besongnent, et s’ils ne sont ainsi à niueau, les formes bossues y sont venues à la seconde gelation, par l’empeschement des premiers glaçons, qui causent faire quelques sauts és eaux qui donent contre, et apres vient plus grande quantité de glaçons qui sont contrains par le poussement de l’eau, de se ietter l’vn sur l’autre. Or si lesdits glaçons estoyent formez au fond de la riuiere, il faudroit qu’ils tinssent necessairement la forme

  1. La question de l’origine des glaces flottantes n’était point encore entièrement résolue, il y a peu d’années, comme on le voit par la notice que M. Arago a donnée à ce sujet dans l’un des annuaires du bureau des longitudes. Quelque opinion que l’on accepte relativement à la congélation des eaux courantes, les réflexions de Palissy n’en sont pas moins d’un bon esprit et d’un habile observateur.