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Page:Palissy - Oeuvres complètes (P. A. Cap, 1844).djvu/64

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nieux, que par son labeur et industrie, il faisoit qu’un peu de terre qu’il auoit, luy rendoit plus de fruict, que non pas vne grande quantité de celles de ses voisins, dont s’en ensuiuit vne enuie : car ses voisins voyans telles choses, furent marris de son bien, et l’accuserent qu’il estoit sorcier, et que par sa sorcelerie, il faisoit que sa terre portoit plus de fruict que non pas celles de ses voisins. Quoy voyant les Iuges de la Cité, le feirent conuenir, pour luy faire declarer, qui estoit la cause que ses terres apportoyent si grande abondance de fruicts : quoy voyant le bon homme, print ses enfans, et seruiteurs, son chariot et hastelage, et auec ce plusieurs outils d’agriculture, lesquels il alla exhiber deuant les Iuges, en leur remonstrant, que la sorcelerie de laquelle il vsoit en ses terres, estoit le propre labeur de ses mains, et des mains de ses enfants et seruiteurs, et les diuers outils qu’il auoit inuentez, dont le bon homme fut grandement loué, et renuoyé en son labourage : et par tel moyen l’enuie de ses voisins fut amplement cognuë[1].

Demande.

Ie te prie, di moy en quoy est-ce qu’il est besoin que les laboureurs ayent quelque Philosophie : car ie sçay que plusieurs se moqueront d’une telle opinion mesme, ie sçay que S. Paul le defend aux Colossiens, chapitre II, disant : Donnez vous garde d’estre seduits par vaines Philosophies.

Responce.

Tu t’abuses, en m’allegant ce passage de sainct Paul en cest endroit, d’autant qu’il ne fait rien contre moy : car quand sainct Paul dit, Donnez vous garde d’estre seduits par Philosophie, il adiouste vaine, mais celle dont ie te parle n’est point vaine : Parquoy, ie conclus, que cela ne fait rien contre mon opinion. Comment cuides-tu qu’vn laboureur cognoistra les saisons de labourer, planter ou semer, sans Philosophie ? Ie t’ose bien dire, qu’on pourra labourer la terre en telle saison, que cela luy causera plus de dommage, que de profit.

  1. Ce trait, rapporté par Pline (Hist. nat., l. xvii), est attribué à l’affranchi C. F. Ctesinus, lequel in invidia magna erat, ceu fruges alienas pelliceret veneficiis. Il se présenta à l’édile Post. Albinus, avec sa famille et ses instruments d’agriculture, et dit : Veneficia mea, Quirites, hæc sunt, nec vobis possum ostendere, aut in forum adducere lucubrationes meas, vigiliasque et sudores.