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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/25

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L’HOMME ET SON ÉPOQUE.

exercice difficile. Il est beaucoup plus proche de Gargantua ou de Pantagruel : au travers de son masque on voit à plein le gaillard. Il a des coups de désespoir très vigoureux qui ressemblent fort à de virils appétits. Antony est un Werther — qui abat cent à la tête du Turc et casse les vitres sans métaphore. Il se console du malheur de vivre par une certaine robuste joie d’aimer.

Même l’histoire de ces consolations est à peu près toute l’histoire de la vie de Dumas. Elle est variée, remplie d’anecdotes, mais sans rapport direct à ses œuvres dramatiques. Il est seulement véritable que de ses sens le moins développé était le sens moral. Une seule fois, on pourrait croire qu’il eût éprouvé une passion vraie pour une femme, ou du moins autre chose que le goût très vif qu’il avait pour les femmes. Et peut-être cette croyance serait-elle une méprise[1]. Qu’il nous suffise d’indiquer cette naturelle pente de son génie créateur, qui ne l’éloigné pas trop de l’esprit populaire, toujours enclin chez nous à saluer les prouesses et la légendaire liste de Don Juan.

Joignez que pendant quinze ans il grandit en liberté, sauvageon plein de sève, dans les taillis des grandes forêts ducales, parmi des hommes frustes, dont les récits militaires, autant que le spectacle de la nature, échauffent son imagination. Dès 1806, sa mère est veuve, dans la gêne, malgré de pressantes démarches faites auprès de Napoléon[2]. De cette mère, qui fut excellente, et de


    c’est la gaîté de tout le monde. Mais moi, j’ai la gaîté persistante… » Et plus loin : « Alors la seule gaîté permise était la gaîté satanique, la gaîté de Méphistophéiès ou de Manfred… J’avais, comme les autres, mis un masque sur mon visage. » (Mes mémoires, t. IX, ch. ccxxxi, pp. 131 et 133.)

  1. Voir ci-dessous, pp. 287 sqq.
  2. Mes mémoires, t. I, ch. xx, pp. 233, 234, et ibid., ch. xxv, p. 276.