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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/26

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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

ces années difficiles le souvenir lui restera présent. Il en gardera je ne sais quelle tendresse toujours prête à s’émouvoir et une inépuisable indulgence pour les faibles femmes, qu’il verra toujours épouses ou veuves de ces colosses de l’Empire, abandonnées aux hasards de la vie. Muscles, imagination, sensibilité se développent à l’unisson. Tout cela se tient en lui. Il faut sans cesse faire état des indications physiologiques dans l’étude de son caractère et pour noter la formation de son esprit. Cependant il devient avec insouciance une « force de la nature », selon le mot de Michelet[1].

Toute contrainte le gène. Il lui faut l’espace, le grand air. Aucune entreprise ne l’effraie. Tout jeune, il fait douze lieues à pied pour paraître dans un quadrille ; plus tard, il commencera un drame historique sans connaître les éléments de l’histoire. Il est confiant[2], entreprenant, comme il est marcheur, chasseur, hâbleur, exagéreur, amoureux et sensible — à pleins poumons. Il a une intrépidité de qualités et de défauts qui fait sourire et ne fâche point. Se fâche-t-on contre le chêne orgueilleux de la fable, que le vent a semé et qui croît en pleine campagne ? Il y a en lui un Diderot moins cultivé, mais plus robuste, et souvent plus proche de la nature et de la foule[3]. À ses heures de joie, il embrasse tout le monde, hommes et femmes, les femmes surtout. Et il imagine comme il sent, de tout son tempérament, de toute sa force vive, et parfois de toute son incroyable vanité.

  1. Lettre de Michelet citée dans Mes mémoires, t. VI, ch. cxxxviii, p. 29. « Monsieur, je vous aime et je vous admire, parce que vous êtes une des forces de la nature. »
  2. « Il m’a fallu bien des succès pour nie guérir de mon amour-propre. » (Mes mémoires, t. V, ch. cxxxiii, p. 292.)
  3. « Composé du double élément aristocratique par mon père, populaire par ma mère. » (Histoire de mes bêtes, ch. xxxvii, p. 239.)