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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/277

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DRAME POPULAIRE DE CAPE ET D’ÉPÉE.

d’œuvre leur est fermé. Mais le populaire, dont la fantaisie est avide et simple, sent dès ces mots que la Tour règne sur le théâtre, et qu’elle est là pour lui. Ses yeux se dessillent ; il remonte le cours des siècles ; il est le peuple des truands. Il s’identifie avec lui. « Si vous saviez ce que le peuple raconte[1] !… » Le peuple d’aujourd’hui déguste les récits de celui d’autrefois. Il savoure la légende de Brantôme. Au pied de la Tour de Nesle, de cette tour d’enfer, la Seine rejette chaque matin trois cadavres sur la grève ; pêcheurs, bateliers, écoliers commencent à menacer cette « hôtellerie royale[2] » en criant « malédiction ! » Malédiction sur les orgies de la reine Marguerite de Bourgogne, première femme du roi Louis X, et de ses deux sœurs Jeanne et Blanche : famille royale, famille perdue de vices ! Malédiction sur la Tour de Nesle ! Ces quatre mots résonnent, refrain lugubre : « Et nous, enfants, à la Tour de Nesle ! — … Alors, une échelle, une épée, et suis-moi. — Où cela, capitaine ? — À la Tour de Nesle[3], malheureux. » Dès les premiers tableaux, et durant tout le drame, la Tour de Nesle obsède nos yeux de ses clartés sinistres sous un ciel noir déchiré d’éclairs ; son nom poursuit nos oreilles comme un glas. Elle est le protagoniste immuable, l’unité mystérieuse, le symbole massif de l’œuvre. Peuple de France, peuple issu des manants de l’an 1314, qui frémis au seul bruit de ces quatre mots assemblés : la Tour de Nesle, frémis, mais écoute.

Ce symbole, qui a d’abord ému ton imagination, est pour remuer en toi un vieux levain de ressentiments et de rancunes. Il n’y a pas si longtemps que tes pères

  1. La Tour de Nesle, II, tabl. iii, sc. ii, p. 29.
  2. Ibid., p. 30.
  3. La Tour de Nesle, fin du tableau i, p. 14, et fin du tableau viii, p. 90.