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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/161

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L’UNION TOLSTOÏ

ramène ou devrait se ramener, pour un neurologue, à l’art de diriger vers le bien commun, et de neutraliser pour le moindre mal, une majorité d’impulsifs, de dégénérés et de candidats à la manie. Mais Henry Bobetière n’était pas seulement un élève de l’école de la Salpêtrière, il était le fils d’un pasteur protestant. Chez lui, comme chez Crémieu-Dax, la poussée de l’inconscient était la plus forte, aussitôt qu’il s’agissait de la chose publique. Ce garçon, tout douceur et tout patience, avec une grosse face germanique encadrée de cheveux roux, où de bons yeux, d’un bleu de faïence, rêvaient derrière des lunettes, retrouvait en lui une âme indomptable de vieux huguenot, quand la Révolution était en jeu. Il y voyait le dernier terme, triomphal pour lui et les siens, des luttes religieuses du seizième et du dix-septième siècle, dont il conservait intact le souvenir. Rumesnil, qui avait de l’humour, disait de lui qu’il ne passait jamais sous le balcon du Louvre sans regarder si Charles IX ne le tenait pas au bout de son arquebuse. Sa famille avait émigré de Saintonge en Allemagne en 1685, et elle n’était rentrée en France qu’après le premier Empire. Lui aussi, ne se mêlait de politique activement que depuis la crise de 1898. Quand Rumesnil l’eut interpellé, il se leva, comme c’était l’habitude à la Tolstoï, et, les deux mains appuyées sur la table, sans autres gestes que d’assurer quelquefois ses lunettes sur son nez, il commença de rappeler, d’un accent où se devinait la sincérité