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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/170

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L’ÉTAPE

qu’affirmer leurs personnalités avec une énergie exaspérée. Le Juif patient acceptait, comme une rançon nécessaire, ces démentis infligées à son Idéal, mais il se rendait compte que son ami s’en révoltait, qu’il était si peu de cœur avec eux, si près de s’en aller au moindre prétexte ! Il se jeta donc à la traverse, pensant bien attirer sur lui la colère de l’ouvrier relieur, dont il se savait également détesté. Pour lui, en dehors de quelques très rares personnes, dont était Jean, la sympathie ou l’antipathie le laissaient indifférent. Un homme était un fait à utiliser dans ses combinaisons. Il était intéressant qu’une énergie comme celle de Riouffol demeurât au service de l’Union Tolstoï le plus longtemps possible. Cela suffisait pour que Crémieu-Dax supportât les bourrades qu’il voulait épargner à son plus sensible camarade.

— « Pardon, » dit-il, « le règlement m’autorise à prendre mon tour. » Et c’était vrai, qu’un paragraphe des statuts, relatif aux délibérations du comité, portait que les discussions de détail ne commenceraient qu’après que chaque membre aurait dit son opinion : Tu n’as qu’à regarder : titre V, article 67… » Il savait que Riouffol lui céderait, avec le scrupule particulier que les révolutionnaires de ce type mettent à observer la lettre des règlements, par un pédantisme de pontife, qui prend au sérieux les moindres rites de son sacerdoce. En effet, le relieur esquissa un geste d’acquiescement irrité pendant que Crémieu-Dax commençait d’exposer sa thèse à lui, toujours la