Aller au contenu

Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
159
L’UNION TOLSTOÏ

même et qu’il avait l’art de faire jaillir de tous les débats, quels qu’ils fussent, avec une subtilité d’autant plus spécieuse qu’il maniait très ingénieusement le langage métaphysique. Ce sera là une des remarques que devra faire le chroniqueur futur de nos fantaisies byzantines, s’il s’en trouve un pour une aussi fastidieuse histoire : la prédominance prise dans la direction du socialisme français au début du vingtième siècle par des philosophes professionnels. Rien ne prouve davantage l’inanité des prétentions scientifiques d’un parti en train de devenir d’autant plus dangereux qu’il représente des appétits justifiés par des sophismes : il s’adresse aux instincts les plus brutaux avec les arguments les plus abstraits. « Je m’étonne, » disait donc Crémieu-Dax, « qu’aucun de nos camarades n’ait mentionné ce que j’appellerais, avec Claude Bernard, l’idée directrice de notre Union, celle qui la coordonne et qui en fait un organisme agissant. Nous nous sommes proposé de vivre ici, et tout de suite, entre les murs de cette pauvre maison de faubourg, la société future, et de la vivre pleinement, largement, joyeusement. Nous nous comportons comme le philosophe antique qui prouvait le mouvement en marchant. Nous sommes des empiriques, à la façon de Pasteur, qui n’a pas donné la théorie complète de la rage, mais il l’a guérie. On prétend que la Cité de Justice est une utopie ? Nous nous sommes dit : Réalisons-la d’emblée, entre un petit nombre de personnes, soit, pour un petit nombre d’heures,