Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
211
LE CHEMIN DU CRIME

et toute concrète. Acculé dans une impasse, il se représenta d’abord physiquement, et dans leur décor familier, les personnes qui pouvaient l’aider, et, en première ligne, sa maîtresse. Dans l’éclair d’une demi-hallucination intérieure, il revit l’appartement de la rue de Longchamp et la chambre à coucher d’Angèle, tendue de mousseline plissée. Il se revit lui-même, tout à l’heure, se rhabillant pour rentrer chez son père, et elle, au dernier moment, sautant du lit aux draps de soie molle et le reconduisant jusqu’au seuil : son délicieux corps se dessinait dans un peignoir de souple surah mauve, comme ruisselant de dentelles et de flots de rubans ; ses pieds, veinés d’azur et nus, jouaient dans des mules de cuir blanc doublées de cygne ; ses cheveux blonds tout crêpelés flottaient sur ses épaules ; ses yeux bleus, passés au khôl, se noyaient de la langueur de leur tendre folie d’amour. Il sentait encore sur sa bouche la brûlure de ces lèvres rouges et la fraîcheur mouillée de ces jolies dents. Il respirait l’arôme entêtant dont le grain si fin de cette chair de courtisane était comme pétri, et qu’il retrouvait épars sur ses mains et sur ses vêtements. À côté de cette chambre où les bruits des ébats les plus passionnés s’étouffaient entre le tapis havane et les épais rideaux bleus et roses, s’ouvrait le cabinet de toilette. Il se peignit aussi dans l’imagination d’Antoine, avec les bibelots d’argent ciselé, sur la table à coiffer, et, parmi eux, la coupe de cristal et d’or où Angèle rangeait ses bijoux,