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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/224

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L’ÉTAPE

quand elle se dévêtait hâtivement, comme ce soir, en rentrant du restaurant. Elle avait ôté de son cou, entre deux baisers, le fil de ses grosses perles dont elle lui avait dit, en les soupesant : « Si j’en avais seulement trois rangs comme cela ! » Ce fil de perles reposait là, à cette minute même… Antoine en aperçut l’orient, en pensée, aussi distinctement que s’il eût été dans la pièce… S’il y eût été ?… Il ne dépendait que de lui d’y être. Machinalement il prit dans la poche de son gilet une petite clef suspendue à une des deux extrémités de sa chaîne de montre. Cette clef, Angèle d’Azay la lui avait donnée, quelques semaines auparavant, pour qu’il pût venir l’attendre chez elle, même quand la femme de chambre n’était pas là. Si pourtant, avec cette clef, il allait rue de Longchamp, à cette minute même ? Angèle était certainement seule. L’amant riche qui l’entretenait, et à qui l’ami de cœur avait cédé la place, était un homme marié et qui arrivait chez elle, quand il y venait, le soir, vers les onze heures et demie, après le théâtre, pour en repartir vers une heure du matin. La pendule marquait exactement minuit quarante-neuf. Le temps de gagner la rue de Longchamp, il serait une heure un quart. Antoine passerait en donnant un nom quelconque au concierge qui dormirait. Il entrerait dans l’appartement. Angèle dormirait aussi. Il prendrait le fil de perles. Il serait sauvé !… Et si elle se réveillait ?… Une seconde, le jeune homme aux abois eut dans les prunelles cet éclair homicide qui a passé dans les