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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/225

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LE CHEMIN DU CRIME

yeux de tant d’aventuriers en train d’exécuter ce qu’il était, lui, en train seulement de concevoir à un vol de bijoux chez une femme galante. Mais il était trop jeune encore, trop vibrant aussi des voluptés goûtées avec elle pour que tout son être ne se rejetât pas en arrière, devant l’horrible hypothèse d’être surpris par elle et de… Non, non, il l’éveillerait lui-même. Il lui dirait son malheur. Pourquoi non ? Elle l’aimait, elle aussi. Que de preuves elle lui en avait données, depuis le jour où, six mois auparavant, ils s’étaient rencontrés à Longchamp, elle seule dans sa victoria, lui à pied, et tout d’un coup il avait remarqué qu’elle le regardait. Dans son instinct de joli garçon, il avait bien deviné qu’il l’intéressait d’une manière extraordinaire, et il avait eu l’audace de l’aborder. C’était là, sur place, qu’il s’était, par une vanité aussi puérile que naturelle, annexé la fantasmagorique vicomte de Montboron. Le reste avait suivi, à travers quels épisodes délicieux de sentimentalisme libertin, et qui démontraient que sa jeunesse et sa passion avaient parlé à tout le moins aux sens de la fille ! Qui sait ? Si elle apprenait la vérité, ne serait-elle pas touchée de le voir pris dans une crise aussi tragique, et cela, par amour pour elle ? Cinq mille francs, qu’était cette misère pour une personne à qui l’amant en titre donnait soixante mille francs par an, — cinq mille francs par mois, juste le chiffre dont Antoine avait besoin ? On était au 1er novembre, Angèle avait dû recevoir cette somme, le matin