Aller au contenu

Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
247
LES FRÈRES ET LA SŒUR

m’a-t-il pas parlé à cœur ouvert ? J’aurais réfléchi. J’aurais cherché… »

— « Tu auras été trop dur pour lui, » répondit-elle, d’une voix profonde, dont il devait se rappeler l’accent plus tard, « il ne faut jamais être trop dur, vois-tu, quand on veut que le cœur s’ouvre. C’est ton aîné. Il a été humilié devant toi. Il a pensé qu’il se tirerait seul de ce mauvais pas et que tu n’en saurais rien… Mais il ne s’agit pas de ces discussions. Il s’agit que tu les trouves, toi, ces cinq mille francs, et ce matin même. Tu les porteras à son chef de bureau. M. Berthier ne déposera pas de plainte, et tout sera dit. Si le père était en danger, et s’il la lui fallait, cette somme, tu n’hésiterais pas à l’emprunter, n’est-ce pas ? Le père est en danger, c’est moi, Julie, qui te le dis. Mais pense donc ! Qu’Antoine commette une nouvelle infamie et qu’elle retombe sur lui, qu’elle le déshonore !… Et toi, c’est si facile ! Il y a une personne qui peut te prêter cet argent, et tout de suite, c’est Crémieu-Dax !… C’est dur, je le comprends, de tendre la main, même à quelqu’un dont on est l’ami. Marche sur ton orgueil, Jean ; si ce n’est pas pour lui, pour notre père, pour notre nom, pour nous !… Va chez Crémieu-Dax, pas demain, pas cet après-midi ; maintenant… » Elle répéta : « Pour notre père !… »

Elle n’ajouta pas « pour moi », mais tout en elle le poussait, ce cri de détresse. Il n’y avait pas un de ses mots qui ne signifiât l’horrible chose qu’elle voyait distinctement et qu’elle ne voulait