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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/267

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LES FRÈRES ET LA SŒUR

si délicate, avec laquelle M. Ferrand venait de le traiter, il laissait s’insinuer en lui l’enseignement contenu dans cette phrase. Une fois de plus, il éprouvait quelle puissance d’interprétation totale de la vie humaine possède le Christianisme. Hors de lui, qu’avait-il trouvé, hier, et ce matin encore, dans les heures de chagrin qu’il avait traversées ? Rien que le désespoir et le brisement sous le poids aveugle de la nécessité. À quoi l’invitait l’appel que le père de Brigitte avait voulu joindre à son bienfait ? À croire que ses souffrances, toutes ses souffrances, les petites et les grandes, avaient un sens, et celles qui lui venaient de son père et de leurs étranges rapports, — et celles que lui causait depuis tant de jours l’énigme du caractère de sa sœur, — et celles que lui infligeait en ce moment le crime commis par son frère, — et tout le reste, depuis la crise de son amitié avec Crémieu-Dax jusqu’à l’écœurement qu’il subissait à la seule idée de l’Union Tolstoï, après les scènes pénibles de la veille, terminées par les grossiers outrages de Riouffol. Derrière cette suite d’émotions ou déchirantes ou froissantes, ne sentait-il pas l’imperceptible et continu travail d’un Esprit qui poursuivait son esprit ? À chacun des coups qu’il avait reçus avait correspondu l’évidence de plus en plus claire des lois méconnues par les siens et par lui-même. Quelles lois ? Celles-là mêmes que le traditionnaliste Ferrand lui avait montrées, comme constitutives de la famille et de la société. — Elle était là, « l’utilité de sa misère, » dans