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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/286

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L’ÉTAPE

avait remise d’un geste si simple. Il relut l’inscription qu’il avait promis de méditer : Perdidistis utiLitatem calamitatis, et il tomba dans une profonde rêverie. Oui, ce nouveau malheur : le versement par Antoine de cette grosse somme, prise on ne savait ni où ni comment, devait lui être, à lui, Jean, l’occasion d’une énergie nouvelle, — comme aussi l’attitude de plus en plus révélatrice de Julie, — comme l’aveuglement de plus en plus pénible de son père. S’il voulait être digne de l’estime que lui avait montrée son maître, il fallait qu’il assumât les devoirs dont ce père ne pouvait se charger, puisqu’il ne les voyait pas. Il n’était pas admissible, si Antoine s’était procuré de l’argent par quelque emprunt honteux, que le frère eût à sa disposition de quoi régler cette dette et ne la réglât pas aussitôt. Il n’était pas davantage admissible que, soupçonnant sa sœur d’une intrigue avec un de ses amis, il ne tirât pas cette aventure au clair, pour y couper court. Mais comment ? Il était vain d’essayer d’arracher son secret à Julie. L’impudence d’Antoine déjouait par avance toute tentative. Une action restait possible, et immédiatement. Jean n’avait pas à ménager Rumesnil. Pourquoi donc ne pas avoir avec lui une conversation définitive, à la suite de laquelle, sur ce point du moins, il en aurait fini avec les équivoques et les compromis de conscience ? Il soupçonnait Antoine d’avoir emprunté à ce camarade les cinq mille francs. Il avait pris ombrage des visites trop fréquentes de ce même camarade