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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/287

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UN CŒUR DE JEUNE FILLE

rue Claude-Bernard et de son intimité avec Julie. Il le forcerait à s’en expliquer. Il verrait bien ce que l’autre répondrait à ces deux questions posées bravement, fermement, nettement. Les yeux dans les yeux et avec une certaine qualité de résolution, un ami force un ami, sinon à dire la vérité, du moins à la laisser deviner. En tout cas, parler à Rumesnil, ce serait agir en représentant de la famille, et, quel que dût être le résultat de cet entretien, Jean comprenait qu’il s’estimerait de l’avoir engagé. Il se dit : « J’irai chez Adhémar aujourd’hui, et je lui poserai ces deux questions. Je m’en donne ma parole d’honneur. »

Il se produit dans les tempéraments nerveux et instables, comme était celui-ci, quand ils se fixent sur une décision très arrêtée, une tension de tout l’être, qui se manifeste par une physionomie contractée, des gestes saccadés, un regard dur et fiévreux, fixe et absent. Ces incertains, devenus des résolus, dégagent alors, par une contagion presque électrique, une atmosphère de malaise, soit que, réellement, le cerveau doive être assimilé à une pile et que le leur projette, dans ces instants-là, des courants trop forts ; soit, plus simplement, qu’ils déconcertent ceux qui les entourent par des allures inattendues, autant dire irritantes. Ils dérangent la représentation que leurs familiers se font d’eux, et c’est une cause presque animale de désharmonie. L’idée de cette toute prochaine entrevue avec Rumesnil donnait à Jean