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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/300

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L’ÉTAPE

sur toi. Nous avons beau ne pas causer souvent ensemble, si tu ne me connais pas, moi je te connais. Veux-tu que je te dise vers quoi tu marches ? Tu finiras catholique, si tu ne l’es déjà. Moi, j’ai l’horreur de cette religion comme des autres, l’horreur, en toi, de cette lâcheté avec laquelle tu te précipites dans ce que tu sais être le mensonge, parce que tu trouves le vrai trop dur à supporter. Au fond, de nous tous, le bourgeois, c’est toi. Antoine est un bandit, c’est plus courageux ! Il y a en moi plus de sympathie pour son audace que pour ta faiblesse. Il est un révolté, à sa façon, qui n’est pas la mienne, mais je l’estime plus que ta soumission, entends-tu ? Je suis une anarchiste, moi, sache-le bien. Je ne serai pas écrasée par cette société infâme sans avoir lutté. Qu’on me laisse m’y faire ma place comme je l’entends ! Si j’échoue, je serai seule responsable… »

C’était la première fois, depuis des années, que cette âme de silence s’ouvrait un peu, bouleversée par la secousse qu’elle venait de recevoir, et elle montrait des profondeurs de ténèbres dont, même à cette minute de crise où il s’agissait d’un fait positif à élucider, Jean s’épouvanta. Cette solidarité de la famille qu’il avait invoquée, tout à l’heure, comme il la sentit vivante devant la détresse que les paroles de la jeune fille révélaient presque malgré elle ! Et, la pitié se mélangeant soudain à cette espèce de colère nerveuse que le commencement de la discussion lui avait donnée, il demanda :