Aller au contenu

Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
344
L’ÉTAPE

n’en plus bouger ? Ah ! si Joseph Monneron avait pu entendre le discours intérieur que se prononçait sa fille durant ces heures d’agonie, quelle épouvante eût été la sienne, et quel remords !

— « Comme on manque de courage !… » se disait elle. « Il n’y a que trois partis : ou que Rumesnil m’épouse tout de suite, il ne peut pas ; ou que je me fie à lui, comme il me l’a demandé ; ou, si je n’ai pas assez d’énergie, que j’en finisse une fois pour toutes… » À plusieurs reprises, la pensée du suicide avait traversé cette âme sans croyance, restée haute par tant d’aspirations et emprisonnée dans un sort qu’elle n’acceptait pas… Elle l’avait rejetée chaque fois, de toute la force de sa jeunesse, et elle la rejeta encore. « On est toujours à temps de mourir, » conclut-elle à un instant de cette sinistre méditation. « Je l’aime. Je veux vivre, tant qu’il m’aimera… Je mettrai ma volonté entre ses mains. Il fera de moi ce qu’il voudra. Il n’y a ni bien ni mal. Il n’y a que lui… »

Julie n’eût pas été une femme, et une femme amoureuse, si les raisonnements abstraits sur son droit à commettre telle ou telle action n’avaient pas fini par se résoudre dans un retour passionné vers le souvenir de l’homme dont elle était éprise, trop aveuglément, à de certaines minutes, et, à d’autres, trop lucidement. Il se peignit devant sa mémoire, avec les expressions de physionomie qu’il avait eues tour à tour durant ce rendez-vous de l’après-midi : réservé quand elle lui avait parlé