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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/357

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ET NE NOS INDUCAS

de son frère Antoine ; refermé soudain au nom de Jean ; défiant d’abord, puis attendri lorsqu’elle lui avait appris sa grossesse ; doux et triste, pour répondre à son allusion au mariage ; transfiguré ensuite et si beau dans l’ardeur du désir, si câlin enfin, si prenant, si insinuant au baiser de l’adieu, et lui chuchotant le terrible conseil. C’était contre le charme émané de ce mobile visage, de ces yeux bleus, de ce sourire voluptueux et spirituel, de cette voix caressante, qu’elle avait protesté, à peine sortie de l’appartement, avec la révolte du premier sursaut. Cette révolte était finie, et elle se repaissait de cette image, maintenant. Elle s’enivrait des sensations que ce souvenir seul soulevait en elle. Comme c’était sa coutume après chacun des tête-à-tête de la rue d’Estrées, elle s’efforçait de revivre leur entrevue en pensée, détail à détail, phrase à phrase. L’expérience aurait dû lui prouver le péril de ces analyses rétrospectives. Les douloureuses incertitudes qui avaient tant assombri son amour depuis ces dernières semaines lui étaient toujours venues de ces regards jetés en arrière et qui lui découvraient des énigmes là où elle avait trouvé des raisons d’espérer. Ce fut le cas, cette fois encore… À mesure qu’elle se représentait, avec une minutie d’évocation qui n’omettait pas une nuance, les petits épisodes de cette conversation, voici que ces changements de la physionomie de son amant, qu’elle venait de revoir en imagination avec une telle fièvre d’amour, s’interprétaient d’une autre