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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/392

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L’ÉTAPE

Pourvu qu’il n’ait pas menti et que vraiment il ne soit pas rentré !… Mais il faut agir comme si c’était vrai… » Et, le geste suivant la pensée, automatiquement, la jeune fille s’assit à la table de son frère, et, d’une main si fiévreuse que les caractères en étaient à peine lisibles, elle traça les quatre lignes d’avertissement qui pouvaient, sinon empêcher, du moins reculer la catastrophe : « Jean sait tout. Il te cherche. Évite-le à tout prix, jusqu’à ce que je t’aie parlé. Je serai rue d’E… aujourd’hui au lieu de demain, à cinq heures. Par pitié, sois Là. » Quand elle eut mis ce billet sous enveloppe et libellé l’adresse, elle demeura plusieurs minutes encore, — ces minutes pourtant comptées, — la tête dans ses mains à se figurer par avance l’accueil de Rumesnil dans ce rendez-vous qu’elle lui demandait pour le jour même et qu’elle avait placé à une heure un peu tardive, afin d’être plus sûre qu’il y viendrait. Toute la folie de son amour l’avait ressaisie. C’était de lui seul maintenant qu’elle avait peur, à lui seul qu’elle pensait, avec une intensité de passion décuplée par le regret de ce qu’elle avait fait. Par quelle aberration avait-elle bien pu dénoncer ainsi celui qu’elle chérissait plus que la vie ? Pourquoi n’avait-elle pas tout accepté, pour le garder ? Pourquoi ne lui avait-elle pas donné cette preuve suprême d’amour qui l’aurait touché peut-être, l’obéissance, — jusqu’au crime ? Qu’allait-elle lui dire pour expliquer son aveu ? Et à qui ? À un ami auquel elle savait qu’il tenait par une affection si sincère !… Ah ! Jamais