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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/424

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L’ÉTAPE

de la basse popularité jusqu’à laisser chanter devant eux et quelquefois chanter eux-mêmes ces ignominies :

… Que désire un républicain ?
Vivre et mourir sans calotin.
La Vierge à l’écurie.
Le Christ à la voirie.
Et le Saint-Père au diable !…

— « Votons, messieurs, » dit Bobetière, « il faut que ce scandale finisse… »

— « Votons… » répéta Jean, qui ne pouvait s’empêcher, même dans sa misère, de plaindre l’abbé Chanut, lequel, debout dans un coin de la salle, affectait de regarder attentivement une magnifique photographie représentant le portrait d’un homme lauré, par Antonello de Messine. Ce chef-d’œuvre de peinture qui se voit au Castello Sforzesco, à Milan, évoquait, sur ce pauvre mur nu, toute la vigueur de l’Italie aristocratique du quinzième siècle. Le faire solide et impassible de l’artiste y proclamait une civilisation dure, mais ordonnée, aussi bien que la forte expression du modèle. Cette image contemporaine du Prince n’était pas plus à sa place dans ce repaire de socialistes que ce prêtre lui-même, qui, d’ailleurs, ne la voyait même pas. Comprenait-il, en constatant quelles haines soulevait sa magnanime venue chez ses ennemis, la vanité de son effort et le mensonge de sa doctrine politique ? Offrait-il au contraire dans son cœur cette épreuve à Celui au sacrifice duquel son âme fervente s’associait tous les jours dans la