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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/505

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BRIGITTE FERRAND

rand n’était pas à la maison, il insista, en priant que l’on fît passer sa carte. Son désappointement devant une seconde dénégation fut si visible que cet homme lui offrit d’aller s’enquérir quand son maître rentrerait :

— « Mademoiselle le saura probablement, » dit-il.

— « Mademoiselle est là ? » fit Joseph Monneron. « Voulez-vous lui demander si elle peut me recevoir une minute ? »

Il avait parlé dans un mouvement d’impulsion irréfléchi, qui se changea en une véritable souffrance de timidité lorsqu’il fut introduit, quelques instants plus tard, dans le cabinet de travail du philosophe, où le portrait d’Arnaud d’Andilly suspendu au mur, entre deux corps de bibliothèque, ennoblissait toujours la pièce de sa méditative gravité, et les hautes fenêtres l’emplissaient toujours de leur belle lumière paisible. Dans ce décor de vieilles boiseries et de vieilles reliures, où le vaste bureau chargé de papiers attestait l’assiduité du philosophe, la grâce jeune de Brigitte Ferrand devait saisir le pauvre tâcheron d’enseignement, qui était aussi le père de Julie, d’une impression presque poignante. Le contraste était trop fort entre sa destinée de fonctionnaire improvisé, si précaire, si harcelé de soucis matériels, et le tranquille loisir intellectuel qu’avait assuré à son collègue le long passé bourgeois de son opulente famille ! Trop cruelle aussi l’antithèse entre la fille séduite parce qu’elle avait été mal élevée,