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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/506

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L’ÉTAPE

mal surveillée, mal entourée, que le professeur pauvre venait de quitter sur son lit de douleur, et la pure, la fine créature, si préservée, si comblée, qui le recevait, toute frémissante, ses prunelles bleues remplies d’une si touchante émotion, ses joues empourprées d’une rougeur qu’accentuait l’éclat de ses beaux cheveux blonds ! Brigitte s’était levée d’une table mobile où une machine à écrire montrait ses touches de minuscule piano. Une feuille y était encore engagée. Un manuscrit, placé à côté, révélait l’occupation d’humble et dévouée collaboratrice à laquelle la charmante enfant s’assujettissait, avec la ferveur admirative que lui donnait la contemplation de la pensée du Bonald moderne dont elle portait le nom, dont elle avait hérité l’âme et les convictions bienfaisantes. La visite du père de Jean, du jeune homme qu’elle aimait et par qui elle se savait aimée, l’avait saisie à un tel point que la voix lui manquait presque pour répondre à la question du visiteur aussi ému qu’elle.

— « Je me suis permis d’insister, mademoiselle, » disait celui-ci, « parce que je tiens absolument à voir monsieur votre père aujourd’hui… J’ai pensé que vous sauriez peut-être à quelle heure j’aurais le plus de chances de le rencontrer… »

— « Mais tout de suite, » fit Brigitte. « Il est sorti après le déjeuner pour aller jusque chez ma sœur, rue Notre-Dame-des-Champs. Je m’étonne même qu’il ne soit pas encore rentré. »